vendredi 30 mai 2014

Eugène Buret par François Vatin 2001

Eugène Buret, né le 6 octobre 1810 à Troyes, fils de Edmé Buret (fabriquant de toile puis marchand de vin, rue de la Clef de Bois) et de Renée Françoise Roy,mort le 23 août 1842 à Saint-Leu-Taverny (Seine-et-Oise)

Journaliste au Courrier français, de 1836 à 1842, il remporte en 1840 le concours de l’Académie des Sciences morales et politiques sur le sujet  : « En quoi consiste la misère, par quels signes elle se manifeste en divers pays ; quelles sont ses causes. »
Son ouvrage, publié en 1840, De la Misère des classes laborieuses en Angleterre et en France, propose « une étude méthodique du problème, en vue de sa complète solution » et une intervention de l’État « en faveur du travail »..
Phtisique, il meurt très jeune au retour d’un voyage en Algérie. Ses résultats et une critique du colonialisme sont publiés en 1842 dans Question d’Afrique. De la double conquête de l’Algérie par la guerre et la colonisation.
Disciple de Sismondi, il critique l’économie libérale et fournit des arguments aux militants ouvriers et aux théoriciens socialistes de la monarchie de Juillet, et du socialisme scientifique, Marx et Engels.
En 1942, sous le régime de Vichy, Paul Chanson publiait une plaquette intitulée " "Eugène Buret, un précurseur de la Révolution nationale".
 Le même auteur avait aussi tenté de récupérer une autre figure de la gauche républicaine avec " L'organisation  du travail selon Louis Blanc".


L'universitaire François Vatin a publié en 2001 dans la revue du MAUSS - 2001/2 n°18, pages 237-280
 une étude "Le travail, la servitude et la vie. Avant Marx et Polanyi, Eugène Buret"

La virulence de Buret dans sa critique du salariat pourrait laisser penser que son ouvrage constituait un brûlot révolutionnaire. Ce serait oublier que ce mémoire fut primé par la très officielle Académie des sciences morales et politiques et qu’il fut bien reçu par les économistes français de son temps [12]  En 1842, Buret publiera dans le Journal des économistes... [12] .
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Buret se réclamait de Sismondi, dont le « retournement » de 1819 fut beaucoup moins marginal et « anti-libéral » qu’on ne le présente habituellement.
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Comme Sismondi, il entendait revenir aux principes fondateurs, moraux, de la pensée libérale contre la dérive que constituaient à ses yeux la théorie économique de Say en France et surtout celle de Ricardo en Angleterre [13]  Comme on le sait, la révision de la théorie économique... [13] .
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Or, un tel questionnement était à l’ordre du jour chez les penseurs « officieux » des institutions universitaires et politiques françaises de l’époque, parmi lesquels Rossi occupait une place éminente.
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Ces auteurs ne se contentaient pas de déplorer la misère ouvrière sur le mode d’un « romantisme économique » que Lénine, après Marx, dénoncera [14]  V. I. Lénine, Pour caractériser le romantisme économique... [14] . Ils s’interrogeaient sur la notion même de salariat dont ils voyaient bien qu’elle était en un certain sens contradictoire avec leur conception de la société libérale, fondée sur l’échange de choses entre des hommes libres. Pour Rossi, en ce sens, qui prenait ici le contre-pied des disciples de Ricardo, tel Mac Culloch, le travail ne pouvait être considéré comme un « facteur de production [15]  Pellegrino Rossi, « De la méthode en économie politique.... [15] »; il ne constituait pas en effet simplement un moyen de l’activité économique, mais aussi sa fin même à travers le salaire, source de la subsistance des classes populaires urbaines. On retrouvera cette thématique, empreinte de kantisme mais aussi de foi chrétienne de façon plus nette encore chez Buret [16]  La référence à Kant est importante chez Rossi. Signalons... [16] . Il n’est donc pas étonnant que des auteurs comme Sismondi (c’est bien connu), mais aussi Rossi (ce l’est moins) et également Buret (on l’ignore en général) aient inspiré en profondeur le jeune Marx, même s’il ne leur rendra pas pleinement justice dans sa maturité, et cela tout particulièrement, comme nous le verrons, pour Buret. Et pourtant, ils restent des « libéraux », tout comme Marx à certains égards jusqu’en 1848. Ce n’est en effet qu’après 1848 que s’opère la grande partition idéologique entre « libéraux » et « socialistes » qui a marqué l’histoire de la seconde moitié du XIXe siècle et celle du XXe iècle.
12 La prégnance encore aujourd’hui très forte de cette structuration du champ idéologique rend difficile la compréhension des auteurs de la période précédente.

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