jeudi 15 décembre 2016

Candidature du citoyen Cottet, profession de foi 1848




  LE   CITOYEN COTTET

Aux ouvriers et aux instituteurs

Du département de l’Aube

 Liberté Egalité Fraternité


Pour que la Représentation Nationale soit complète et en tout conforme au principe républicain qui doit présider à sa formation, il faut que chacune des grandes catégories dont se compose la Nation ait ses représentations directes; il faut donc qu'à côté des représentants de l'agriculture, du commerce, des arts, de l’industrie manufacturière, de l'armée, etc., figurent les représentants de la grande masse des ouvriers proprement dits.
L'Assemblée Nationale doit compter, dans son sein, des citoyens ayant porté la veste et le tablier; des hommes qui connaissent intimement les besoins de l'atelier et de la mansarde.
Les instituteurs primaires sont aussi des ouvriers dont la mission, laborieuse et sainte, doit devenir de plus en plus imposante sous l'empire de nos nouvelles institutions. Tâchôns que les instituteurs, si mal récompensés jusqu'ici de leurs nobles et pénibles travaux, aient aussi quelques représentants choisis parmi ceux qui ont longtemps respiré la poussière et l’air vicié des classes.
Tel  est le vœu  du Gouvernement provisoire ; tel paraissait  être le vœu de tous 1es Comités électoraux ; tel est celui  de  tous les bons et vrais Républicains.
Dès le commencement de la lutte électorale, des ouvriers de Troyes et d'A rcis, et des instituteurs, tous mes anciens camarades, m'ont dit : Soyez notre représentant.
Jusqu'ici j'avais reculé, effrayé que j’étais en comparant la faiblesse de mes moyen à la grandeur de la tâche que des amis  trop confiants voulaient m'imposer. Mais voyant en fin que les Comités  électorau x de Troyes,  malgré leur promesse, ne présentent, sur leur liste, aucune candidature sérieuse  d'ouvrier ;  désirant voir chez nous le grand principe de l’élection populaire consacré par le fait ;  persuadé que le dévoûment et l'amour de la patrie peuvent, jusqu' à un certain point, compenser la capacité,, j’accepte enfin la candidature qui m’est proposée, et je m’offre à vous comme le représentant special des ouvriers et des instituteurs.

Ouvriers et instituteurs de l’Aube ! beaucoup d’entre vous me connaissent depuis l’enfance : les uns m’ont connu ouvrier tisserand pendant huit années ; les autres ont assisté à mes leçons publiques d’enseignement populaire, à l’hôtel de ville et au musée de Troyes. Tous les instituteurs m’ont connu à l’école normale de l’Aube, où pendant huit années aussi, j’ai mis mon faible savoir et mon dévouement à leur service.
Que ceux qui me connaissent depuis longtemps dissent ce que j’ai été et ce que je suis ; qu’ils disent si je suis républicain d’hier ou républicain de longue date ; qu’ils me fassent connaître à ceux qui ne me connaissent pas, et les suffrages ne me manqueront pas !
           
Une  circonstance pourrait nuire  à ma candidature, si je ne prévenais pas les objections qu’elle peut oulever. Je suis, depuis quatre ans, vérificateur des poids et mesures à Arcis, c’est-à-dire fonctionnaire public nommé par l’ancien gouvernement.

Qu 'on sache bien que j'ai obtenu cet emploi au concours, et non par faveur ; que je l'ai obtenu que parce  que  la  faiblesse relative de mes  concurrents  à mis les  distributeurs de faveurs d’alors dans l' impossibilité de m'évincer ; qu'enfin cet emploi est tout-à-fait en dehors de la politique, et que son exercice est spécialement  à  l'avantage  des pauvres,  qu'il  met  à  l 'abri  (de  la  fraude,  de  la  cupidité  des  marchands   de   mauvaise foi . II  est bien entendu que  ma  démission  serait  une  conséquence forcée de mon  élection   en  cas  de succès.
Ouvriers et Instituteurs de l'Aube ! je réclame donc vos sùffrages, et vous adresse ma profession de foi,  franche  et loyale, me vouant  à votre inimitié,  à votre juste  mépris si je manquais au moindre de mes engagements. Aucune autre démarche ne sera faite  par moi , ni  de ma  part, pour  déterminer  vos votes.
Je ne vous demande rien pour moi , car, pensez-y bien, en acceptant la députation , je risque mon  avenir  et peut-être ma vie ; j'ai ici  tout  à perdre  et  rien à gagner : la députation        n'est plus,        ne doit plus être un marche-pied . Je vous demande vos suffrag·es  dans  votre propre  intérêt, dans l'intérêt  de la  défense du plus beau des droits conqu is par nos frères de Paris, le 21 févricr dernier, le  droit de representation pa r tous et pour tous. Si nous ne voulons pas perdre ce droit , nous en devons faire usage dès aujourd'hui .

   PROFESSION DE FOI    
Je veux la République, rien que la République ; avec toutes ses institutions largement libérales. Je la veux telle que l'ont comprise ceux qui ont décrété l'abolition de la peine de mort pour délits politiques, l'organisation du travail et l’abolition complète de l'esclava ge.
Je veu x la République, c'est-à-dire le gouvernemen t de la na tion par la nation  au moyen d'une représentation législative  vraiment nationale, et d’un pouvoir électif temporaire et responsible
Je veux la République, parce que j’ai la conviction que ce mode de gouvernement est le seul qui convienne à une nation éclairée ; parce que c’est sous un gouvernement républicain exclusivement, que l’homme comprend sa dignité, peut jouir de la plenitude de ses droits, et dire véritablement : Je suis libre et égal aux autres hommes qui sont mes frères.
A ceux qui ne partageraient pas ma conviction, je dirais encore: Je veux la République, parce que c’est une nécessité, une conséquence naturelle de notre civilisation ; parce que la royauté, sous quelque couleur qu’elle se présente, n’est plus possible en France.
Je repousse complètement toute idée, toute doctrine qui tendrait à porter atteinte aux droits sacrés de la propriété.
Je veux l’allègement des charges qui pèsent sur le pauvre, par la suppression de tout impôt portant sur des objets de consommation générale et nécessaire, en substituant aux impôts actuellement existants, un impôt sur les objets de luxe et de fantaisie.
Je veux que tout impôt soit progressif, c’est-à-dire augmente avec la valeur des objets imposés, plus que proportionnellement à cette valeur.
Je veux que tous les emplois, sans exception, soient soumis à l’élection ou au concours ; que toute charge cesse d’être vénale ; que tout cumul d’emploi soit rendu impossible ; qu’aucun fonctionnaire ne soit appelé à la représentation nationale sans avoir au préalable abandonné son emploi.
Je veux la liberté absolue de la pensée, et de son expression par la parole, l’écriture ou la presse.
Je veux la liberté absolue de la conscience en matière religieuse, le libre exercice de tous les cultes, le respect pour toutes les croyances.
Je veux que l’instruction à tous les degrés soit gratuite pour tous, accessible à tous, sauf les conditions d’aptitudes pour l’admission aux écoles spéciales ; que  l’instruction soit largement développée et encouragée par tous les moyens possibles ; que par conséquent, tous ceux qui seront chargés de la répandre soient rétribués par l’état, assez honorablement pour qu’on puisse exiger d’eux toutes les lumières et tout le zèle qu’exigera leur haute et importante mission.
Je veux une organisation du travail basée sur une association bien entendue du travail et des capitaux, sur une répartition équitable des bénéfices entre le capitaliste et les travailleurs.
Enfin, je veux que le mot justice, devant les tribunaux, soit une vérité ; que la justice soit rendue gratuitement et soit plus expéditive, surtout en matière civile, de telle sorte que sa balance ne soit plus entraînée par le poids de l’or du riche.
Voilà ce que je veux et ce que je défendrai de tout mon pouvoir, envers et contre tous, si vous me jugez digne de vous représenter à la prochaine Assemblée Nationale.
Salut et Fraternité

COTTET
Vérificateur des poids et mesures
ancien Ouvrier Tisserand
ancien Professeur à l’Ecole normale


Aucun commentaire: